2010-05-27

Je ne cherche plus dieu depuis que j’ai trouvé le Logos

Je me sens très héraclitéen.

Il est impossible de citer Héraclite d'éphèse sans que n'apparaisse le pessimisme et l'apparente confusion de sa pensée ; accordons-lui les excuses de son époque : les concepts philosophiques pré-existants sont bien maigres et pour un esprit éclairé et honnête, la raison a peu de poids face à la force brutale. Certains lui accordent même la formidable intuition du concept physique de conservation de l'énergie. Sans aller jusque là, je vous propose de traduire certains de ses idées pour le XXIe siècle, choisissant à dessein un personnage de l'aube d'une civilisation, plutôt que son déclin.

“ Le tout et son contraire ”, cette contradiction apparente a, dans d'autres contrées, été figuré par le Ying-Yang, les deux faces de la même pièce.
Avant la moindre intervention d'intelligence, la nature propose à l'esprit des forces extrêmement opposés et cependant intimement liées ; la vie et la mort, le bien et le mal, la guerre et la paix. Mais comme tous les concepts, créés par l’homme afin de décrire et simplifier un réel difficilement préhensible, chacun a son opposé, qui le défini, et inversement. Rien de très surprenant là-dedans, la nature nous offrant mille exemples de ces contraires qui ne pourraient vivre l’un sans l’autre et de l’équilibre nécessaire pour une certaine pérennité ; si le prédateur tue toute les proies il ne survivra pas très longtemps. Des tactiques aux contres-mesures, des toxines aux alliances improbables, par le nombre ou par la vitesse, plus on étudie ces équilibres, plus ils paraissent complexes. Ironiquement, je pense souvent aux raisons de l’existence de la vie comme une simple révolte des éléments lourds contre la pesanteur, comme une revanche sur les éléments légers ; et la moindre manifestation du vivant, animale ou végétale, dépendante de son environnement minéral, est, pour moi, le symbole de cette “ révolution du lourd sur le léger. ”

“ Jamais je ne me baigne dans le même fleuve ”, encore une formidable intuition qui se cache sous une pirouette. L’effort de réflexion est faible pour comprendre que même si tous les matins je me baigne au même endroit, l’eau dans laquelle je me baigne n’est évidement pas la même. Mais ce simple constat a plus de sens qu’il ne le laisse paraître, et l’on peux multiplier les exemples, l’air que je respire n’est jamais le même, aujourd’hui, chacun sait que les atomes qui me constituent ne seront jamais les mêmes. Au delà de la prise de conscience, pas forcement facile, que ce qui nous paraît constant n’est en fait que changement ; c’est aussi une vision, un peu triste peu être, du temps qui passe, de l’impossibilité de revenir en arrière et du caractère éphémère de tout et surtout de nous-même.

“ Ce feu universel qui grandit de ce qu’il dévore et diminue d’avoir consumé ”, cette image a été interprétée comme une fabuleuse intuition de la physique nucléaire. Personnellement, je trouve cela un peu fumeux, objectivement, c’est plus certainement une autre formulation de l’idée précédente : comme le regret de l’éphémère dans un cycle éternellement renouvelé. D’autres lectures rapprochent ce feu au concept du “ Logos ” que je traduit simplement comme le concept d'intelligence, très moderne à l’époque, en tant que concept, et qui pouvait transpirer d’un simple discours formé d’une suite de mot qui ne sont que des symboles et ni du réel, ni du sacré. Ainsi, Héraclite, éclaireur des philosophes à venir, ne fait qu'entrevoir la magie des outils qui seront ensuite créés autour de la pensée, du langage et de la science.

Alors que je découvre l'origine de ces concepts, résonne dans mon esprit ma vieille pseudo-cosmogonie personnelle.
Je me suis toujours méfié des oppositions partisanes, choisissant par principe de comprendre les deux bords pour trouver des consensus. Alors, quand j’admet une opposition pour réelle, je l’ai bien pesée ; par exemple, dans le domaine social, la seule opposition qui me semble d’un quelque intérêt est le genre, mais c’est un autre débat. Du point de vue spirituel, ou philosophique, les oppositions corps / âme, terre / ciel ou autres ne me convenait absolument pas ; par contre, une seule opposition me paraît évidente : d’un coté la matière, et de l’autre l’esprit, pris au sens large, et cela même si, ou plutôt parce qu’il n’y à pas d’esprit sans matière, sauf à avoir foi en des rumeurs. Ce qui caractérise le plus cette opposition c’est avant tout que la matière est soumise à une réalité temporaire alors que l’esprit peut s’envoler hors du réel et du temps, car c’est bien ainsi qu’on l’observe : on parle de civilisation quand la peur de la mort est conjurée par des rituels, on parle d’intelligence, même chez les animaux, dès qu’un outil est utilisé.
Sur la base de cette opposition, je formule une hypothèse, comme un apriori, que les deux constituants de celle-ci sont des entités dans le sens où la Matière est une et non constituée de bouts de matière, et où, de la même façon, l’Esprit est un et non formé de bouts d’esprit, associés ou seulement additionnés. Et ce que nous appelons la vie, dans ces formes les plus simples comme les plus complexes, ne sont que des “ émergences ” de l’Esprit au sein de la Matière ; l’utilisation des majuscules ne soulignant que le sens unitaire décrit à la phrase précédente. Chaque émergence, avec sa force et sa localisation dans l’espace et le temps définit un individu. Et bien que la Matière, réceptrice, et l’Esprit, créateur, soient l’un et l’autre unique, tout en étant à l’origine de toutes les émergences, chaque individu se perçoit comme unique et l’est en effet, par sa localisation, son expérience, sa relation à la dimension temps et avec les autres … émergences.
Presque insidieusement, le caractère individuel, la puissance du sentiment de différence entre soi-même et le reste est nécessaire à cette émergence ; comme la création de l’ego chez une personnalité ou la spécification des espèces. De plus, par son expérience dans le réel, confronté aux autres, chaque individu a tendance à renforcer ce sentiment d’individualité et comme les échanges entre individus se trouvent limités par l’interprétation de symboles, même sophistiqués, mais imposée par cette même individualisation, cette localisation dans la matière. Ainsi, malgré des tendances à la projection, l’esprit de chaque individu a de multiples freins à la reconnaissance de l’esprit de l’autre comme de soi-même.

Et sur la base de cette hypothèse de multiples phénomènes s’éclairent, dans de multiples domaines. Au plus simple, l’étonnante intelligence collective de certains insectes comme les fourmis. Toutes les mystiques, mono comme polythéistes, ou animistes, s’interprètent comme l’intuition de l’unité de l’Esprit, rejetée dans une projection extérieure, supérieure et puissante. Et l’on peut voir l’unité de l’esprit à plusieurs niveaux dans l’expression artistique, en particulier musicale, dans la magie du dialogue sans mots des musiciens jouant ensemble ou les corps et les cœurs à l’unisson des spectateurs d’un concert.
Avec cet éclairage, les attitudes psychologiques ou les relations sociales se simplifient jusqu’au risible : la mémoire collective, les mouvements de foule. Et il devient difficile de garder de la rancœur quand on a conscience d’être fâché avec soi-même. Même la mort, la foi en une résurrection, prennent une autre perspective.
Et donc, la seule chose qui compte, c'est le Logos, l'intelligence, et pas seulement cette capacité d'adaptation qui nous permet de faire face même à l'inconnu et de survivre, mais également l'intelligence de collaboration, de coopération, l'intelligence du dialogue, de la transmission du savoir et de l'éducation des jeunes ... émergences.

Réf. : http://fr.wikipedia.org/wiki/Héraclite